Le dernier ouvrage de l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson est un manuel d’aventure à destination de celles et ceux qui envisagent de repenser leur lien avec la nature.
Les derniers rapports du Giec sont formels : la responsabilité des êtres humains dans le changement climatique est “sans équivoque”. Les conséquences sur le climat sont nombreuses, et tout le monde a en tête l’augmentation des températures moyenne de 1.5, 2, voire 4 degrés, en fonction de la capacité des États à se mettre d’accord.
Nous sommes pourtant encore peu nombreux à visualiser les effets de cette hausse des températures sur la nature et la biodiversité. Selon le deuxième volet du sixième rapport du Giec publié en 2022, entre 9 et 14% des espèces seraient concernées par un haut risque d’extinction si la température augmente de 1,5 degrés, des chiffres qui vont jusqu’à 39% en cas d’une hausse moyenne de 4 degrés. Selon les experts, nous sommes d’ailleurs aujourd’hui en train de vivre une sixième extinction de masse.
Il n’a donc jamais été aussi urgent de repenser notre lien avec la nature. Comment faire en sorte de l'intégrer davantage dans nos vies, dans nos carrières, dans nos métiers ? Et surtout : que peuvent faire les entreprises pour limiter la casse ?
Ces questions essentielles ont été abordées par les invités de la conférence du jeudi 17 novembre 2022 intitulée Pacte avec le vivant et organisée par la Cité de l’Économie et des Métiers de Demain (CEMD), impulsée et développée par La Région Occitanie / Pyrénées Méditerranée, lieu unique de prospective et d'expérimentation pour embarquer vers une économie durable et inclusive.
“Le confort est la porte ouverte au conformisme”
Il a beau ne pas être entrepreneur, la dernière aventure de Sylvain Tesson, qu’il relate dans son livre Blanc (Ed. Gallimard, 2022), est une impressionnante entreprise, au sens littéral de l’exécution d’un projet, d’une affaire, d’une opération. Dans son récit, l’écrivain relate sa traversée du croissant alpin, de Menton jusqu’à Trieste sur quatre hivers de 2018 à 2021. Une épopée de centaines de kilomètres, marquée par des dénivelés impressionnants et des tempêtes mémorables. Une immersion dans le “dernier espace sauvage en Europe” préservé de l’aménagement du territoire par la haute altitude. Une quête de soi, un exploit hors du temps, hors du monde des humains, en immersion totale avec la nature.
“Le blanc n’est pas simplement un adjectif mais une patrie. Car à 2000 mètres d’altitude, on perd la spécificité de l’endroit où l’on se trouve. Nous sommes dans un royaume où l’espace s’est aboli, le relief s’est dissous, où le temps se dilate”
- Sylvain Tesson
Là-haut, la perte de repères est telle que l’écrivain voyageur parle même d’oubli de soi. Les futilités du monde s’effacent au profit d’objectifs vitaux : rester en vie, ne pas tomber dans une crevasse, atteindre le refuge du soir. Un oubli de soi comparable à un état de choc, de sidération face à la force de la nature, comparable au syndrome de Stendhal ou syndrome de Florence dans lequel un individu, submergé par la beauté de la nature, se voit complètement chamboulé.
Face à une entreprise si périlleuse, l’Homme ne peut-il trouver le salut que dans la difficulté, loin du confort matériel dans lequel notre société semble lovée ? L’Homo confort, décrit par l’anthropologue Stefano Boni dans son ouvrage Le prix à payer d’une vie sans effort ni contrainte (Ed. L’Échappée, 2022), est-il incompatible avec la nature ? ”Je ne conçois pas de raconter un récit qui n’est précédé d’une douleur ou d’une souffrance, c’est une modalité de l’inspiration”, précise Sylvain Tesson. Bien que le confort soit “merveilleux”, il devient critiquable dès qu’il constitue une chose à atteindre.
“Le confort est la porte ouverte au conformisme et nous fait accepter de renoncer à notre liberté”
- Sylvain Tesson
Pas question pour autant de parler de "connexion avec le vivant”. Ce poète, amoureux des mots, préfère une terminologie plus humble. “Quand on veut se présenter devant la nature, on utilise des mots plus simples : amour de la nature, salut aux plantes, jouissance de trouver une forêt”, souligne-t-il. Et ceux qui attendent de ce géographe de formation une invitation à l’engagement collectif, à la préservation de la planète et de ses ressources par toutes et tous, seront déçus. “Je ne veux pas m’associer au destin de la collectivité”, lance-t-il. Pour Sylvain Tesson, vouloir sauver la planète est une expression arrogante. “C’est une tâche face à laquelle nous sommes bien incapables”, ajoute-t-il. Sa seule ambition : écrire, raconter le monde. Le sauver, certainement pas !
Corriger l’allégeance au virtuel grâce à la nature
Comment l’entrepreneur peut-il s’inspirer du dernier ouvrage de Sylvain Tesson ?
Celui qui voit dans l’alpinisme une forme de critique vivante aux sociétés modernes, au capitalisme et au monde matérialiste prône l’ascèse. Pour lui, c’est dans la légèreté que l’on trouve la liberté. Se libérer des contraintes inutiles, du superflu, de la volonté de maximiser le profit à n’importe quel prix… l’ascèse tessonique fonctionne aussi pour les chefs d’entreprises. “La marchandisation du monde, l’accumulation, la volonté d’acquérir nous empêchent de nous lever et de nous casser”, lance-t-il, reprenant la célèbre phrase de Virginie Despentes.
“La liberté se mesure au prêt à partir et non au prêt-à-porter”
- Sylvain Tesson
Bien qu’il ne soit pas tendre avec le monde de l’entreprise, Sylvain Tesson traverse les Alpes avec son guide mais aussi Rémoville, un ingénieur qui mène une double vie : dans la nature à ses côtés, mais aussi au sein de son cabinet de finance. L’écrivain voyageur n’y voit pas de contradiction, au contraire, l’alpinisme est pour Rémoville une soupape, “sans quoi il deviendrait fou.” Il précise : “C’est une manière pour lui de corriger l’allégeance qu’il a faite au virtuel. Quand vous êtes alpiniste, vous signez un acte de paix avec la nature.” Forcément, cela demande un peu plus d’investissement physique et mental qu’une chambre de méditation chez Google ou que la pratique du quantum jumping ou saut quantique…
Agir : la mission vitale des territoires et des entreprises
Bien que l’écrivain en appelle à des ambitions modestes, il est temps d’agir. Et que peuvent faire concrètement les entrepreneurs et les territoires pour la biodiversité ? La Région Occitanie est la première région à avoir adopté un Pacte Vert, en novembre 2020. Ce travail collaboratif est le fruit du travail d’une centaine de citoyennes et citoyens de la région qui ont élaboré 300 propositions d’actions pour répondre à l’urgence climatique. Parmi les grandes ambitions du Pacte, on retrouve la volonté de décarboner nos modes de vie, la préservation des écosystèmes ou encore anticiper les conséquences du réchauffement climatique. Selon la Présidente de Région, Carole Delga, 75% des actions présentes sont déjà engagées.
Jérôme Cohen est le co-fondateur du Grand Défi des entreprises pour la planète. Inspiré de la Convention Citoyenne pour le Climat, l’ambition du Grand Défi est de produire 100 propositions fortes pour accélérer la transition de l’économie des entreprises. 100 représentants d’entreprises françaises sont tirés au sort et devront développer ces propositions pendant six mois pour les porter ensuite devant le monde politique et économique. “La seule façon de contrer le réchauffement climatique c’est d’agir et de s’unir pour faire émerger des propositions”, souligne Jérôme Cohen.
Un constat que partage Anne-Lise Melki, Directrice Générale de Biotope, bureau d’études leader européen de l’ingénierie écologique et de la conservation de la nature qui conseille les entreprises pour qu'elles intègrent les enjeux de la biodiversité dans leur stratégie. Plus optimiste que Jérôme Cohen, la cheffe d’entreprise a foi en la nouvelle réglementation européenne en faveur de la biodiversité.
“Si les entreprises sont capables de la mettre en œuvre, c’est gagné”
- Anne-Lise Melki
Bien qu’il ne soit pas toujours évident pour les entreprises de comprendre leur lien avec la biodiversité, il est urgent de se former, d’apprendre et de mettre en place au plus vite un plan d’action pour réduire son impact sur le vivant. Réduire ce n’est pas reculer, c’est ouvrir d’autres perspectives.
« Éteignez les lumières et le monde s’allume »
- Sylvain Tesson.
La Cité de l’Économie et des Métiers de Demain, créée et développée par la Région Occitanie, est un lieu unique pour embarquer vers une économie durable et inclusive.
La Cité de l’économie et des métiers de demain est là pour « voir loin », nous préparer aux mutations et aux métiers de demain et expérimenter, tester les solutions et les modèles durables de demain.