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Soumis par AlexandraB le lun 24/02/2025 - 10:51

Machinima : quand le jeu vidéo fait son cinéma

 

Avec leur dystopie survivaliste (Knit’s Island) ou leur avatar de série française (La Vraie Vie), les réalisateurs Ekiem Barbier et Guilhem Causse s’engagent sur un terrain de création à double facettes : le machinima. Contraction de « machine » et « cinéma », le terme désigne un genre hybride où des films sont créés à partir de captures d'écran de jeux en ligne. Derrière ce renouvellement des pratiques de production, l’avènement, peut-être, d’une nouvelle industrie culturelle.

 

Organisée par la Cité de l’Économie et des Métiers de Demain / Région Occitanie, à Montpellier, la longue-vue « Cinéma et jeu vidéo : hybridation pour un nouvel art ? » 

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a braqué les projecteurs sur les liens entre le cinéma et le jeu vidéo. Une thématique fertile, dans une Région qui ambitionne de devenir leader européen des industries culturelles et créatives (ICC) en créant 5 000 emplois d'ici 2028.

Lors de cette rencontre animée par Karim Ghiyati (directeur d’Occitanie Films), les réalisateurs Jérôme Mauricio et Guilhem Causse, épaulés par le producteur Boris Garavini, ont exploré comment les récits hybrides pouvaient être portés par des technologies innovantes. Un retour d’expérience commenté et enrichi par Claire Chatelet (maître de conférence-fiction immersive et machinima à l’Université de Montpellier) et Sarah Beaulieu (directrice narration d’Ubisoft et scénariste).

 

Knit’s Island : un tournage dans l’irréel 

« Quelque part sur internet existe un espace de 250 km² dans lequel des individus se regroupent en communauté pour simuler une fiction survivaliste ». C’est dans ce monde parallèle, inconnu du grand public, que les réalisateurs Ekiem Barbier et Guilhem Causse ont décidé de tourner Knit’s Island.

https://www.youtube.com/watch?v=EyvZ3iuMWKM

Entièrement réalisé dans l'univers du jeu de survie DayZ, le film embarque ses spectateurs dans une aventure tournée en temps réel, résultat de centaines d’heures de jeu enregistrées. « La carte du jeu s’inspire d’une région de la Tchéquie. Quelque part, l’équipe du film a voyagé, mais sans se déplacer. On avait la sensation d’être réellement déployé sur un lieu de tournage » évoque Guilhem Causse. Chef opérateur, cadreur, régisseur… Chaque membre de l’équipe déployée dans le jeu devait trouver sa place dans ce contexte virtuel, réinventant les rôles traditionnels du cinéma, tout en s’adaptant à des contraintes techniques inédites. Résultat : une expérience cinématographique unique.

 

Quand le jeu devient récit : le potentiel narratif du machinima

Chez les adeptes de création documentaire, les jeux vidéo, en tant qu’espaces immersifs, ouvrent de nouvelles possibilités pour raconter des histoires et explorer l’intimité des joueurs. Le jeu devient un miroir de l’expérience personnelle, qui se manifeste dans des récits contemplatifs où le joueur est à la fois spectateur et acteur de son propre voyage intérieur. Pour Sarah Beaulieu, le joueur découvre un espace de réflexion et d’expression personnelle, propice à explorer des thèmes comme la solitude, l’identité ou la quête de sens : « Il y a une dimension sociale, on peut même parler « d’escapisme » (échappatoire). Le joueur quitte la vie réelle, et ouvre la porte à une autre histoire que la sienne. Derrière cette démarche, il y a une vraie pulsion de vie qui fait honneur à notre espèce fabulatrice. On est loin de l’image qu’on se fait des geeks enfermés dans leur chambre. ».

Dans ce sens précis, d’autres œuvres de machinima se réclament de la « fiction réaliste » et emploient des comédiens pour incarner des personnages, comme dans La Vraie Vie. Coproduite par Arte, cette série suit Victor, comédien, qui incarne son propre rôle sous forme d’avatar. Dans une satire de la société du travail, La Vraie Vie documente avec humour et sincérité sa quête d’un rôle dans un jeu vidéo, à défaut d’en décrocher un dans la « vraie vie ». Le spectateur est invité à suivre un homme errant entre les mondes réels et virtuels, explorant la relation entre son existence physique et son alter ego numérique. Une démarche narrative à la fois créative et précise, qui annonce probablement l'entrée du machinima dans l’âge de raison. Pour Claire Châtelet, le machinima est symptomatique de l’ère de décloisonnement dans laquelle nous nous trouvons : « les joueurs et les joueuses deviennent des créateurs et s’approprient un média déjà existant pour créer de nouvelles histoires ».

 

Les plus grands s’en inspirent

Si les premiers machinima, produits dans les années 1990, étaient souvent l'œuvre de passionnés et de gamers, ces films ont depuis gagné en reconnaissance et en professionnalisme, au point d’attirer l’attention et le soutien des chaînes de télévision. C’est le cas, en France, de Knit’s Island et La Vraie Vie, coproduites avec Arte, ou de l’émission Portal soutenue par la chaîne américaine G4 qui utilisait des séquences de jeux vidéo pour raconter les aventures de personnages fictifs dans des espaces de jeu en ligne multijoueurs.

 

Les techniques du genre ont également intéressé les maillons forts du cinéma mainstream. Steven Spielberg dans Les Aventures de Tintin en 2011, James Cameron dans Avatar (2009) ou Gore Verbinski dans Pirates des Caraïbes… Tous ont utilisé des technologies inspirées du machinima pour prévisualiser et réaliser des scènes complexes. Ces méthodes, qui permettent de planifier des prises de vue en 3D et d’expérimenter avec des mouvements de caméra virtuels.

Entre documentaire et fiction, le machinima n’a sûrement pas fini de repousser les frontières de l’art narratif. Soutenir cet univers hybride, c’est peut-être offrir au cinéma un nouvel horizon et des imaginaires renouvelés.

 

C'est avec cette vision du temps long que la Région Occitanie soutient la dynamique de la filière et que la Cité de l'Economie et des Métiers de demain se fait régulièrement l'écrin de débats passionnants autour du futur des métiers des industries culturelles et créatives et du jeu vidéo.